Impressions Ars Electronica 2024 (HOPE)

Dans l’océan d’écrans qui a déferlé sur Ars Electronica cette année, tous de format appréciable et tous identiques quels que soient les projets, quelques œuvres émergeaient qui osaient d’autres avenues plastiques.

"Flock Of", Bit.studio

« Flock Of », Bit.studio

Celle qui a recueillie le plus d’attention et d’enthousiasme est Fock Of de bit.studio. Installés dans le bunker de Post City, on apercevait de loin ces ballons en forme de poisson, gonflés à l’helium avec leur « peau » argentée et brillante. Beaucoup, y inclus moi, pensèrent à une revisitation, ou tout le moins à une référence, aux coussins de Wharhol pour la chorégraphie Rainforest de Cunningham. Une fois dans la salle on comprenait que ces poissons là avaient un autre propos. Munis de capteurs, chacun recevait des instructions coordonnant leurs mouvements individuels et collectifs. Légers, ils dérivaient également au gré des courants d’air créés par le déplacement du public et aux gestes faits pour les écarter quand ils s’approchaient trop près de nous. Entre le maquereau pour la brillance et le requin pour la forme, ils créaient un banc joyeux et ludique dans lequel on s’immergeait progressivement au point de se sentir réellement comme en plongée sous marine. Surgissait alors une douce mélancolie : ces poissons robotiques étaient-ils tout ce qui nous resterait pour avoir une expérience de la mer et de l’océan une fois que nous aurions détruit le milieu marin ?

La vidéo de Bit.Studio sur You Tube (à regarder sans le son !)

Je me souviens de ce jour où j’ai vu les flammes sur Notre Dame. Je me souviens aussi du jour où je fus enveloppée comme dans un cocon protecteur et réparateur dans l’installation sonore de Bill Fontana sur la terrasse du Centre Pompidou. Les cloches frémissaient sous les capteurs et micro contacts de l’artiste lesquels  transmettaient également les rumeurs de la ville et du chantier. J’apercevais les tours de la cathédrale, la-bas, sur son île.

"Silent Echoes Dachstein", Bill Fontana

« Silent Echoes Dachstein », Bill Fontana

C’est une autre cathédrale qui a accueillie Silent Echoes: Dachstein, œuvre sonore magistrale de Bill Fontana. Les vibrations sonores de Notre Dame transmises dans les grottes de glace des montagnes de Dachstein y furent associées à la captation des sons de l’eau s’écoulant de la fonte du glacier. Ce dialogue sonore entre l’objet de culture construit par des hommes mais qui failli disparaître et l’objet de nature qui s’efface sous l’action des humains s’élevait sous les voûtes de la Mariendom de Linz, s’enroulait autour des piliers, se répandait dans les chapelles et nous emportait avec lui dans une puissance et une beauté tragiques.

Ces deux œuvres sont, au passage, la preuve que l’on peut faire de l’immersif (tellement à la mode en ce moment) sans une multitude d’écrans, de vidéo projecteurs ou de casques de réalité virtuelle, même si la pièce sonore de Fontana était accompagnée d’une vidéo totalement inutile et de piètre qualité (mais on pouvait regarder ailleurs ou fermer les yeux).

"We Were Walking on the Beach", Dahye Seo

« We Were Walking on the Beach », Dahye Seo

Quelques belles surprises sont venues du côté de l’exposition Campus qui présente des travaux d’étudiants. J’y ai noté We Were Walking on the Beach de la coréenne Dahye Seo qui utilise la forme d’un rituel funéraire : chaque jour pendant 49 jours elle fit brûler un bâton d’encens puis réalisa une broderie selon la forme unique que prirent les cendres chaque fois. La mort, la disparition, la fragilité de la vie humaine et du monde qui l’entoure sous-tendait aussi Fragancy. Forged Memoryscapes des roumaines Simona-Diana Chiru et Caty Alexandra Samara. L’œuvre s’inscrit dans le cadre d’une recherche spéculative sur la santé mentale et le soin : des languettes de papier imprégnées de différentes odeurs servent de déclencheur à de très brèves vidéos filmées à Timisoara. C’était une jolie version de la madeleine de Proust.

"Fragancy. Forged Memoryscapes", Simona-Diana Chiru et Caty Alexandra Samara

« Fragancy. Forged Memoryscapes », Simona-Diana Chiru et Caty Alexandra Samara

Enfin, dans les nombreuses œuvres qui aujourd’hui confrontent les enjeux écologiques et économiques The Solar Share du collectif Disnovation.org incarnait ces questions de belle manière. Dans la section des projets S+T+ARTS, l’installation était composée d’un fin bio réacteur d’un mètre carré dans lequel poussait des micro algues comestibles, d’un charriot sur lequel était déposée la récolte quotidienne, d’une série d’assiettes à l’aspect ancien sur lesquelles étaient gravés des motifs liés au concept et de divers éléments explicatifs et didactiques. Le projet explore la métabolisations de l’énergie solaire comme moyen d’appréhender la notion de durabilité et comme moyen de mesure de ce que « rapporte » le soleil. Dans sa simplicité plastique épurée , carré vert enchâssé dans une structure métallique et la dimension scientifique presque clinique qu’apportent les charriots auxquels s’opposent, en contrepoint, les assiettes qui semblent tout droit sorties d’un musée du 19e siècle The Solar Share se singularise et attire par son esthétique pour mieux délivrer son propos.

"The Solar Share", disnovation.org

« The Solar Share », disnovation.org

 

Le titre d’Ars Electronica cette année était « Hope. Who will turn the tide ».  Peut être quelques êtres humains …

N.B. Silent Echoes: Dachstein et The Solar Share ont fait l’objet d’un soutien du projet Creative Europe « More-than-Planet, néanmoins, ce n’est pas la raison qui m’a fait les inclure dans mon compte-rendu d’Ars Electronica mais bien leurs qualités.

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