Louis Bec est mort.
Je ne l’appelais « Louis Bec » que lorsque je parlais de lui à des étudiants ou quand je m’adressais à des tierces personnes, ou dans un contexte officiel.
Sinon, je disais « le Louis ».
Louis Bec est mort. Mais le Louis ?
Quand je pense à lui, me vient un grand sourire. Mais on ne sourit pas quand quelqu’un meurt. Dissonance cognitive.
Un flot de souvenirs, désordonnés, joyeux, intenses. Surtout joyeux. Même les discussions âpres et ardues étaient joyeuses. Des céphalopodes, de la vie artificielle, Flusser, des images de synthèse, des mots imprononçables et intraduisibles, des poissons électriques, des robots, des schémas, de la pensée structurée en diagrammes, des extrêmophiles, des dessins, un lapin transgénique, des textes que l’on relit comme au premier jour, avec le même émerveillement, de la curiosité, de la malice. Le Louis, c’était du miel pour les neurones.
Je me rends compte que je n’ai aucune photo de lui, aucune photo avec lui. Il est des gens dont le commerce suffit.
Certains disent qu’il n’a pas eu de juste reconnaissance, officielle. C’est vrai, mais que de gens tellement divers, de tellement de générations il aura influencé, formé, nourri, soutenu. Il nous a appris que l’on pouvait être libre de penser et de faire des choses hors cadre.
Certains disent qu’il va falloir préserver son héritage intellectuel, culturel, artistique. Il y a déjà cette jolie collection de textes réunis dans un iBook par Pavel Smetana et CIANT. J’aimerais qu’on le fasse fructifier, cet héritage. Que l’on soit à la hauteur de ce qu’il nous a transmis, de la façon dont il nous regardait et nous écoutait.
Ce que je sais, ce soir, c’est qu’il est des conversations que je n’aurai plus.
Paris, 2 juin 2018