Le 26 mars, je participais à la première rencontre autour de la réalité virtuelle organisée conjointement par Dėcalab et VRlab, la plateforme mise en place par David Guez, au Lab de l’Institut Culturel de Google à Paris (que de « Lab » ma foi, finalement la recherche, ou son vocabulaire, font encore recette !)
Le thème de cette session portait sur l’altérité.
Mark Farid y a présenté Seeing-I, entre performance extrême, télé-réalité et recherche en neurosciences et psychologie. Déjà largement médiatisé, ce projet consiste à passer une lune (autrement dit 28 jours) dans la peau d’un autre par le biais d’un Oculus rift. Il ne s’agit plus de vivre une autre vie idéale ou fantasmée mais la vie d’un autre. Dans ce « vie ma vie » version 2.0, la réalité virtuelle croise la surveillance panoptique individualisée intégrale. Farid va t-il croire qu’il est dans la réalité de l’Autre ? Cet Autre va t-il devenir totalement paranoïaque ? Suspense …
Dans le hall menant à la salle, on pouvait expérimenter Dog House, projet de cinéma immersif du collectif danois Makropol, reconstitution d’un dîner de famille, parfaitement monstrueux comme tout bon dîner de famille se doit d’être. Cinq membres du public pouvaient participer, occupant la place de chacun des protagonistes de l’histoire et la voyant de leur point de vue. Si la narration éclatée et multiple (dans ce que l’on aurait appelé autrefois une hyperfiction) fonctionne remarquablement bien, en revanche la promesse d’incarnation d’un personnage laisse largement sur sa faim et on reste spectateur, plus ou moins nauséeux (à cause des mouvements d’une image que l’on ne contrôle pas), d’une histoire où des acteurs (et non pas nous-mêmes) incarnent des personnages. Être dans un environnement virtuel c’est y avoir une présence. Les conditions de cette dernière passent sans doute par des interfaces ou des propositions sensori-motrices au-delà du port de l’Oculus. Une autre forme de représentation est aussi à imaginer.
D’une certaine manière c’est ce que propose David Guez avec son projet Homni en cours de développement. À partir de son smartphone et du système de vision stéréoscopique en carton de Google, chacun, où qu’il soit, pourra via une app voir ce que les autres utilisateurs connectés voient. Par simple mouvement de tête on change « d’yeux de substitution » mais sans avoir le choix de ces regards. On se prend à imaginer des performances mondialisées, tout à la fois collectives et individualisées …
En direct de Tokyo, Makiko Izu co-fondatrice et chorégraphe du collectif de performeurs Grinder-Man a présenté leur projet de réalité altérée Mirage, un des projets les plus intéressants que j’ai pu expérimenter de cette réalité virtuelle « nouvelle génération » dans la dialectique et l’expérience qu’il crée entre corps physique et corps-image, corps des danseurs, du public-participant et du public-spectateur, de ce qui est perçu comme vrai ou faux, de la suspension de temporalité des images.
Quant à moi, j’ai introduit la séance avec une présentation intitulée Virtual Reality or « The White Man’s Mask » (oui, ça cause en anglais chez Google à Paris) dans laquelle j’ai évoqué les œuvres de réalité virtuelle de la première époque, des années 1990, qui se rapportaient au thème de l’altérité : Home of The Brain de Monika Fleischmann et Wolfgang Strauss (explorer la pensée de l’autre), Inherent Rights Vision Rights de Lauwrence Paul Yuxweluptun, l’artiste qui a qualifié la réalité virtuelle de « masque de l’homme blanc », (explorer la culture de l’autre mais aussi le monde des esprits), Placeholder de Brenda Laurel (quand l’autre est l’animal non humain) et Molecular Informatics de Seiko Mikami (quand on rencontre l’autre dans le monde virtuel).
Sur cette base, et en invoquant également d’autres exemples comme See Banff de Michael Naimark, j’ai dégagé quelques grandes lignes qui peuvent caractériser la réalité virtuelle d’il y a vingt cinq ans et celle d’aujourd’hui en soulignant les divergences (d’un monde créé de toute pièce en images de synthèse des années 1990 à l’ultra réel — ou au désir de réalisme— des vidéos actuelles filmant le monde réel) mais aussi les points communs comme l’exploration de nouvelles formes de narration.
Sous le vocable « réalité virtuelle » on classe en ce moment des projets de nature bien différente, dont certains relèvent plus de la téléprésence que de la réalité virtuelle stricto sensu. La place et le rôle du public-participant y restent encore parfois incertains et les concepts d’empowerment, embodiment et agency (responsabilisation, incarnation, libre-arbitre) mériteraient une attention plus soutenue.
Je vais maintenant aller explorer ce que propose le festival EXIT en la matière cette année.